Exploiter les grands fonds, une catastrophe pour l’humanité ?

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Elle a vu naître l’exploration des abysses. À la fin des années 1970, alors que la France se lançait dans la recherche sur les environnements profonds, Françoise Gaill embarque pour ses premières campagnes océanographiques. Quelques années plus tard, au début des années 1980, elle effectue une plongée historique dans le Pacifique, à 2 500 mètres de profondeur. Un monde silencieux, hostile, et pourtant d’une richesse biologique inouïe. Très vite, elle comprend : ces écosystèmes sont aussi fascinants que fragiles. Mais le choc, pour elle, viendra d’ailleurs. Un jour, elle entend parler d’un projet américain : proposer à des touristes de visiter les sources hydrothermales… à bord de sous-marins russes. “Un coup de tonnerre”, dit-elle. Car au moment même où les scientifiques commençaient à peine à en découvrir les mystères, d’autres étaient prêts à les commercialiser, voire les détruire.C’est à cette époque qu’émerge l’idée d’un code de conduite international pour protéger les grands fonds marins. En 1994, l’ONU crée l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), tandis que la Convention de Montego Bay proclame les abysses “patrimoine commun de l’humanité”. Mais trente ans plus tard, ces grands principes sont sérieusement mis à mal. Sous prétexte d’urgence climatique, des acteurs veulent désormais exploiter les ressources minières du fond des océans. Exemple récent : The Metals Company, une entreprise canadienne, a demandé un permis pour exploiter le Pacifique. Et en avril, Donald Trump signait un décret visant à faire des États-Unis “le leader mondial de l’exploitation minière des grands fonds”. Un pays qui, rappelons-le, n’a jamais ratifié la convention de Montego Bay.Face à ces menaces, Françoise Gaill ne baisse pas les bras. Elle coordonne aujourd’hui, avec l’ancien président du Muséum d’histoire naturelle Bruno David, un comité scientifique international réclamant un moratoire de 10 à 15 ans. Objectif : gagner du temps. Pour mieux connaître ces fonds, pour évaluer les risques, pour créer un code minier encadré. Et les premières alertes sont déjà là. Une expérience menée dans le Pacifique en 1979 a laissé un sol encore marqué 44 ans plus tard. D’autres études montrent que l’exploitation des fonds marins libérerait des nuages de sédiments toxiques, dangereux pour la faune… et peut-être pour l’humain. “L’océan est un système connecté. Des courants peuvent remonter des virus, perturber la chaîne alimentaire”, prévient la biologiste.Sur le plan économique aussi, elle reste sceptique. “Ce n’est pas rentable. Il y a encore tant à faire sur les terres émergées.” Alors elle poursuit son combat. Avec la juriste Tanya Brodie Rudolph, elle lance l’International Platform for Ocean Sustainability, qui verra officiellement le jour lors de la conférence des Nations unies sur l’océan, en juin 2025 à Nice. L’objectif : donner aux États les outils pour agir vite et bien, sur la base de la connaissance scientifique. Et elle veille aussi à une autre menace montante : le stockage du CO₂ dans les profondeurs. Une solution “climatiquement séduisante”, mais écologiquement risquée. “La vie est fragile. Et c’est notre devoir de la protéger”, conclut-elle. Une voix précieuse, à l’heure où les abysses, trésor ignoré, deviennent la nouvelle frontière des appétits humains.  Hébergé par Acast. Visitez acast.com/privacy pour plus d'informations.

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